Il y a bien eu dans l'histoire quelques tentatives pour saluer la mort collective et honorer ceux qui ont fait don de leur vie pour défendre leur pays.

 

      D'après Philippe Ariès (1), le premier monument pour des soldats tués se trouve à Lucerne, élevé à la mémoire des gardes suisses massacrés à Paris le 10 août 1792.

 

      Mais c'est surtout après la défaite de 1870, durement ressentie par le pays, qu'on rendra hommage aux soldats disparus.

 

   On commence, en effet, à dresser des tableaux d'honneur, à apposer des plaques à l'église ou au cimetière et à ériger des monuments, parfois sur le champ de bataille lui-même. On en trouve quelques-uns dans la Somme comme à Franvillers auquel on adjoindra plus tard le monument de 14-18.

 

 

 

      En 1887, un Alsacien Xavier Niessen, fonde une association privée, Le Souvenir Français, reconnue d'utilité publique en 1906, dont la mission était, comme le précise son bulletin trimestriel, de

 

      1) "conserver la mémoire de ceux qui sont morts pour la France au cours de son Histoire, ou qui l'ont honorée par de belles actions";

 

      2) "veiller à l'entretien de leurs tombes ainsi qu'à celui des monuments élevés à leur gloire";

 

      3) "transmettre le Flambeau du Souvenir aux générations successives."

 

      Dans notre département, on lui doit quelques monuments de la guerre de 1870 comme celui d'Abbeville.

 

 

 


 

 

 

 

 

 

     Le Souvenir Français a continué son action après la Grande Guerre et après celle de 39-45 : cérémonies, remises de distinctions, commémorations, concours auprès des enfants des écoles, ventes diverses.

 

     Aujourd'hui encore, à travers ses 96 délégations générales, ses 1400 comités et ses 52 représentations à l'étranger, il poursuit sa tâche.

 

   Le comité d'Amiens, par exemple, s’est occupé entre autres actions du déplacement du monument de Dury touché par le tracé de l'autoroute A 16.

        

 

 

       Cette volonté de commémoration va se concrétiser et s'amplifier après la première guerre mondiale.

 

    Dès 1916, une autre initiative privée voit le jour : celle de Jean Ajalbert qui crée une association patriotique, La Reconnaissance nationale, présidée par l'académicien Jean Richepin.

 

   Son but : inciter "les bons Français" à se regrouper afin de réaliser ensemble des "glorifications au moyen de magnifiques stèles commémoratives en marbre et en bronze sur lesquelles seront gravés les noms de ces héros morts pour la France".

 

     Stèles que la Reconnaissance nationale se propose d'offrir gratuitement aux communes qui les solliciteront. (3)

 

     Dans son ouvrage, Comment glorifier les morts pour la Patrie, Jean Ajalbert rapporte toutes les suggestions émises, à ce propos, par les personnalités auxquelles il s'est adressé.

 

      Ainsi Edmond Rostand, l'auteur de Cyrano de Bergerac, est lui-même à l'origine du "Nom sur la maison" :

 

"Qu'il brille au fronton de la porte ou sur la pierre du seuil, le nom de l'habitant qui s'est fait tuer pour qu'on puisse continuer de sortir et d'entrer.

 

Nos maisons, qui sont signées par ceux qui les ont construites, seraient ainsi contresignées par ceux qui ont empêché qu'elles ne fussent détruites.

 

Nous ne pourrons revivre qu'après avoir organisé cette obsession. Nous n'avons plus droit qu'à une vie bourrelée de reconnaissance".

  

 

"L'hommage est facile à rendre

Car pour prendre

Le nom près du nid d'un oiseau

Il ne faut qu'un coeur fidèle

Une échelle

Et la pointe d'un ciseau." (4)

 

 

NOTE 1: Philippe Ariès, L'homme devant la mort, Le Seuil, 1977.

 

NOTE 2: Le Souvenir Français, 9 rue de Clichy, Paris 9è. On peut consulter le site officiel si l'on veut davantage d'informations : www.souvenir-français.com

 

NOTE 3: Le Pilote de la Somme, 17 décembre 1918.

 

NOTE 4: Cité dans Jean Suberville, Edmond Rostand, Paris, Chiron, 1921.

 

 

 

        La volonté de la population va donner une dimension encore jamais atteinte à ce désir d'honorer les morts pour la patrie.

 

       De 1920 à 1925, il se construit en moyenne 16 monuments par jour dans tout le pays : soldats, victoires, stèles ou simples plaques apposées dans les églises ou les mairies.

 

      Cet enthousiasme collectif a évidemment suscité bien des convoitises et certains profiteurs peu scrupuleux ont flairé "la bonne affaire" comme l'illustrent deux exemples tirés, l'un d'un roman, l'autre d'un film. !

 

       Dans le roman de Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut, Albin Michel 2013, deux compères, Edouard et Albert fantasment sur l'idée de vendre des monuments aux morts à toutes les communes mais précise Edouard

 

      "on les vend seulement ! on ne les fabrique pas ! on touche l'argent et c'est tout" ... et "on se barre avec la caisse !" (pp 299/290).

 

       Dans le film de Bertrand Tavernier, La vie et rien d'autre 1989, le sculpteur Mercadot n'en revient pas d'une telle aubaine : 

 

    "l'âge d'or ! Jamais vu cela depuis les grecs, les cathédrales, même ceux qui ont une main de merde ont de la commande. Vous vous rendez-compte  ? Un monument par village ! On fournit pas ! 35 000 communes, ... pas 300 sculpteurs : tout le monde veut son Poilu, sa Veuve de guerre, sa Pyramide, ses marbres. La ronde-bosse, le bas-relief, la lettre ... tout ça ronfle comme une usine. Mieux que la renaissance, la résurrection ... "

 

      Mais l'Etat n'oblige pas les communes à ériger un monument aux morts. Il se contente de poser le principe de l'hommage et de définir les conditions de subvention.

 

      Fait remarquable : ce sont toujours les soldats qui, à quelques exceptions près, sont mis en avant dans cet hommage. Ce ne sont plus les chefs militaires mais les simples soldats qui ont alimenté le front en vies humaines durant quatre ans.

 

 

     Rares sont les communes sans monument aux morts. L'absence de victimes pendant la guerre explique l'absence de monument.

 

 

 

 

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