L'INAUGURATION

 

 

 

    Quand enfin toutes les démarches sont accomplies, que les problèmes sont résolus et les travaux terminés, l'inauguration a lieu.

 

     Partout elle est organisée avec le lustre des grands événements et elle est vécue dans la ferveur des grandes émotions. Services funèbres, défilés, discours, dépôts de gerbes, appel des noms, sonnerie, musiques, feux d'artifice sont aux programmes.

 

       Les festivités sont précisées dans des programmes adressés à la population ou publiés dans les journaux. 

 

 

     Toute la population, et toutes les institutions y sont représentées.

 

 

      Et si le Préfet de l'époque n'a pas pu matériellement honorer de sa présence toutes ces inaugurations, celles-ci se font parfois en présence de personnalités qui donnent toute sa dimension à l'événement :

 

       le Général de Castelnau à Proyart le 28 septembre 1924, le général Nollet Ministre de la guerre le 12 octobre 1924 à Moreuil, le maréchal Foch à Abbeville (le 3 juin 1923), Edouard Herriot, alors Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, à Roye le 21 juillet 1927.

 

 

Dans de nombreuses communes la question de la bénédiction du monument par l'autorité religieuse s'est posée renvoyant ainsi aux problèmes déjà évoqués par la croix latine.

 

Ainsi à Corbie en mai 1923 le Conseil décide par six voix contre trois et une abstention :

 

"de conserver la ligne de conduite que le Comité s'est imposée lors de son élection, c'est-à-dire préserver la neutralité du monument".

 

Ce qui provoqua la désapprobation du curé-doyen dans le Bulletin paroissial de Corbie n°27 d'octobre 1925 :

 

" [Le monument aux morts] fait grande et belle figure ... et au point de vue artistique il est au-dessus des critiques.

 La cérémonie d'inauguration en fut aussi belle que possible. On eût souhaité cependant que l'élément militaire y fût plus largement représenté. Mais là où le goupillon est exclu, une certaine logique demande que le sabre le soit également. La non bénédiction planera sur le monument comme un regret pour beaucoup".

 

Dénonçant ensuite le discours prononcé par un maire parlant au nom des élus du canton, discours qu'il jugeait sectaire, le curé terminait son article en ces termes :

 

"Il n'empêchera pas que le monument aux morts reste sacré pour tous, et que les chrétiens et les chrétiennes s'y arrêtent de temps en temps pour se signer de la Croix (oh horreur!) et même y prier la prière de la foi et de l'espérance"

 

Des critiques acerbes fusèrent aussi à l'encontre de certains journaux dont le compte-rendu de l'inauguration ne fut pas conforme à ce qu'attendait certains paroissiens. Ainsi un article du Renouveau de Ham de 1925 à propos de l'inauguration du monument de Corbie :

 

" Tel journal de la Somme auquel sont abonnés trop de catholiques naïfs, sous prétexte qu'il renseigne mieux que les autres, a totalement oublié de même signaler la Messe et la Bénédiction du Monument. Pour lui la fête a commencé à 11h et 1/2 ... c'est à dire qu'elle a été ratée puisque toute une partie annoncée sur tous les programmes N'A PAS EU LIEU ...

 

Le journal Bresle et Vimeuse d'octobre 1921 rapporte ainsi les propos d'un ancien combattant qui eut un vif échange avec la maire d'Oisemont :

 

"c'est un de ces bons paysans ... qui entendant de vos lèvres que le monument ne serait pas béni, eut le courage de prendre la parole pour vous dire : "je tiens à ce que le monument soit béni".

 

 

 

Corbie
Corbie
Oisemont
Oisemont

 

Si l'on en juge par les articles des journaux de l'époque, c'est dans la commune de Fouilloy que les diatribes furent les plus cinglantes :

 

"Dimanche dernier, a eu lieu l'inauguration du monument élevé à la mémoire des morts de la guerre. Contrairement à ce qui se passe dans les communes qui possèdent une municipalité intelligente - c'est-à-dire dans presque toutes - il n'y eut ni bénédiction ni prières ..." (Journal de Péronne 23 octobre 1921)

 

... On remarquera que l'armée pas plus que l'église ne fut représentée ... L'assistance fut très nombreuse comme il arrive toujours en pareille circonstance. Mais combien la cérémonie eût été plus brillante, combien surtout elle eût été plus consolante pour les familles en deuil, et comme elle eût laissé en toutes les âmes un meilleur souvenir, si les organisateurs ne s'étaient bêtement privés de précieux concours en froissant dans ses sentiments les plus respectables une très notable partie de la population" ...

(Journal de Péronne 30 octobre 1921)

 

 

 

 

 

 

 

... L'inauguration laïque et socialiste du monument aux morts, en contradiction avec les beaux exemples d'union sacrée donnés partout en semblables occasions, était une bêtise qu'on aurait cru suffire à la gloire de son auteur.

 

Il n'a pas su s'en contenter pourtant et lui a donné une suite ... Pour la fête de la Toussaint, des fleurs bouquets et couronnes, avaient été déposés au pied de la stèle, mais parmi toutes ces innocences, un emblème séditieux s'était glissé, oui une croix de feuillage ornée de fleurs et d'un ruban tricolore. "HORRENDUM"!

 

A cette vue le tsar (sic) de l'endroit entre en une violente colère et immédiatement donne l'ordre à son garde d'aller enlever l'emblème et de le reporter à la famille assez osée pour violer à ce point la sainte laïcité du monument" ... (Journal de Péronne, 6 novembre 1921)

Fouilloy
Fouilloy

 

Mais "l'union sacrée" regroupa dans la plupart des communes le clergé et la mairie autour du monument.

 

"grâce à la parfaite entente de la municipalité et du clergé, confondus dans un même désir d'union sacrée, la cérémonie malgré l'inclémence de la température, a été en tous points digne des héros qu'elle voulait glorifier".

 

lit-on dans le Pilote de la Somme d'avril 1921, pour la commune de Drucat-le-Plessiel.

 

A Fort-Mahon, ce sont le Sous-préfet, le Maire et les autorités religieuses qui inaugurent le monument ; à Malpart de nombreuses personnalités locales sont présentes à cette cérémonie

 

Fort-Mahon
Fort-Mahon
Fort-Mahon
Fort-Mahon

Malpart
Malpart
Malpart
Malpart

 

       

 

         Dans toutes les communes les préparatifs s'organisent et sont parfois grandioses. En témoigne, entre autres articles, celui paru dans Le Messager de la Somme en 1926 à propos de l'inauguration du monument de Nurlu.

 

"Neuf sociètés de musique, près de 300 exécutants, prennent place entre les différents groupes ...

 

Voici le Groupe Jeanne d'Arc, Jeanne cuirassée de la tête au pied, étendard déployé, s'avance majestueuse sur un cheval blanc : un page tient la bride de son cheval et 4 cuirassiers en cuirasse et cotte de mailles sur chevaux caparaçonnés lui font escorte ...

 

Le Char de la France Pacifique campé là-haut qui fait le geste du semeur, tandis que sur la plate-forme sont figurés les différents corps de métier et leurs attributs ... Ce char attelé de 4 chevaux blancs est accosté de 2 cavaliers en gentlemen et de 2 cultivateurs assis sur leurs chevaux de labour ...

 

Le Groupe des Alliés. C'est la Croix de Genève qui symbolise la paix et abrite sous son pavillon les étendards d'Angleterre, de Belgique, d'Italie, du Portugal, de Pologne, de Russie, de Serbie et des Etats-Unis.

 

Le Char de la France en Guerre, surmontée d'un immense canon (de carton !) et flanqué d'une mitrailleuse (en bois) à l'arrière, en impose par sa majesté ...

 

L'aviation aussi devait être représentée mais le vent a empêché de sortir l'appareil, les les Montgolfières et les dirigeables.

 

Le Groupe des Victimes. La France en deuil tient par la main les Pupilles de la Nation et est suivie des veuves et des pères et mères des 30 soldats tombés au champ d'honneur et des victimes civiles.

 

Le Char de la France Victorieuse. Appuyée sur un faisceau de drapeaux, [une jeune femme] représente la France distribuant palme et couronne à deux soldats et ramenant à elle nos deux provinces recouvrées, l'Alsace et la Lorraine ...

 

En avant du char 2 trompettes annoncent la Victoire ; l'aigle allemand est terrassé par un fantassin ... A l'arrière les vieillards acclament la Victoire. Ce sont les vétérans de 70 et du Tonkin ...

 

Le Char de la France victorieuse est attelé de 4 chevaux gris rouan et escorté de 4 estafettes avec lances et fanions ...

 

Les Anciens Combattants. Il y en a 14 sections groupées autour de leurs drapeaux.

 

Viennent enfin les personnages officiels et les invités, le Conseil municipal et les Maires des environs.

 

Sur une longueur de près de 800 mètres, ces 40 groupes ou sociétés défilent à travers les principales rues du village, coquettement décoré et pavoisé sur tout le parcours ..."

 

 

 

 

Monument de Nurlu - Louis Faille (architecte) - Paul Auban( sculpteur)
Monument de Nurlu - Louis Faille (architecte) - Paul Auban( sculpteur)

 

   

 

 

 

   A Fressenneville

 

 "L'après-midi un magnifique cortège parcourut les principales rues de la commune décorées de nombreux arcs de triomphe ; nous remarquons dans le défilé des groupes très réussis quant aux costumes et parlant à l'esprit.

 

  Voici d'abord de ravissants poilus et marins de cinq à six ans ; les Lorraines et Alsaciennes de même âge ; puis les nations alliées avec leurs armoiries, leurs drapeaux, leurs costumes. Des jeunes filles habillées les unes en bleu, d'autres en rouge, d'autres en blanc symbolisent le drapeau national.

 

  Voici la France victorieuse précédant tous ceux qui ont souffert de la guerre : les veuves, les orphelins, les ascendants, les mutilés, les pays dévastés. Le groupe des Lorraines, celui des Alsaciennes, celui des villes reconquises, des villes martyres, impressionnent par l'idée si nettement exprimée.

 

 Les enfants des écoles,la jeunesse de Fressenneville, les combattants et mobilisés sont là, même quelques vétérans de 1870.

 

 Les sociétés locales de jeu de tamis,de secours mutuels, subdivision des sapeurs-pompiers, précèdent les membres du comité, du bureau de bienfaisance du conseil municipal ..."

 

(Bresle et Vimeuse samedi 20 août 1921)


   

 

 

      Les discours des diverses personnalités qui président ces inaugurations sont souvent empreints de lyrisme et magnifient le Poilu.

 

    "L'Europe avait connu dans tous les temps des Français hardis, gais lurons, irrésistibles dans la charge et dans l'assaut.

 

    Les français de 1911 n'ont pas été inférieurs à leurs aînés. N'a-t-on pas entendu chaque jour des mots devenus historiques forgés par nos Poilus dans l'enfer de la mitraille : des "Debout les morts !" mots de douleur, de défi, d'espoir, de miracle. Et à côté : " Mais tirez donc les gars !" hurlés par de nouveaux d'Assas.

 

     Ces Français-là, l'Europe en avait déjà vus, car ils l'avaient foulée de Séville à Moscou!

 

    Mais elle ne connaissait pas l'homme de nos tranchées, "le Poilu" capable de vivre des semaines et des mois au fond d'un trou, dans la boue jusqu'au ventre, patient, obstiné, muraille vivante comme à Verdun!

 

    Elle ne connaissait pas  le Poilu qui accomplit obscurément des exploits inouïs, le poilu qui a résolu de vaincre quelles que soient la durée, les formes inattendues et diaboliques, les péripéties cruelles de la lutte !

 

(Discours du Maire de Doingt-FlamicourtGazette de Péronne, juin 1924)

 

 

 


   

 

 

 

 

 

 

 

 

   "Et le soldat français de toujours devint le Poilu de 1914.

 

   Quatre ans nous l'avons vu ... sur l'Yser barrer la route de la mer ; en Macédoine couper les routes de l'Orient ;

 

  nous l'avons vu tenir, tenir sans fin dans les boues de la Somme, dans la craie brûlante de la Champagne, sur les sommets de Hartmansvellerkoff ;

 

   nous l'avons vu courir aux brèches anglaise et italienne et les bloquer.

 

  Nous l'avons vu à Verdun."

 

(discours du Préfet de la Somme lors de l'inauguration du monument d'Hattencourt (Le Progrès de la Somme, 3 novembre 1922)


 

  

 

 

Des quêtes, des ventes de cartes postales, d'insignes,  ont été organisées pour éponger les frais de cette journée. C'est bien une fête : les musiques résonnent, les maisons pavoisent, la foule est là.

 

       A Abbeville, on évoque l'arrivée du Maréchal Foch: 

 

     "A 10 heures, les automobiles officielles arrivent à la gare pour recevoir M. le Maréchal Foch. Il descend de son wagon spécial, attaché en tête du train arrivant de Paris.

 

       Le Maréchal est accompagné du général Desticker, du général belge Joostens, attaché à l'ambassade de Belgique, de Lord Cawon, chef d'Etat-major général britannique et de divers officiers. MM. Thuillier-Buridard, sénateur et Antoine, député accompagnent le Maréchal..."

 

 (Le Journal de la Somme, juin 1923).

 

Abbeville
Abbeville
Esmery-Hallon
Esmery-Hallon

 

 

    Le Renouveau de Ham, de juin 1923, rapporte ainsi l'inauguration du monument d'Esmery-Hallon 

 

     "... La cérémonie du matin fut parfaite en tous points. L'Eglise fut même si comble que ... le plancher s'effondra, dans un fracas épouvantable, sous le poids des assistants.

 

 

   Heureusement tout le monde en fut quitte pour l'émotion ... et l'on continua d'assister à la messe, installés, tant bien que mal, en montagnes russes..."

 

   Après la messe, le P. Derogy remercia le Conseil municipal et les Anciens Combattants d'avoir voulu que cette journée fût et avant tout une journée de recueillement, d'où devait être bannie toute réjouissance déplacée, qui eût été comme une profanation.

 

 Aussi félicita-t-il le maire d'avoir interdit rigoureusement les réjouissances publiques et les bals pendant cette journée".


 

        C'est donc une fête, mais une fête grave. Comme le précisent de nombreux programmes, pas de bals, les cafés seront fermés.

 

       "La cérémonie d'inauguration ... sera une manifestation de pieuse reconnaissance et devra garder un caractère de gravité solennelle en rapport avec la signification du monument. Pas de réjouissances publiques comme pour une fête nationale, mais un immense recueillement de la foule en présence de ce témoignage de la gratitude et du souvenir"

 (Le Pilote de la Somme de mai 1923 sur l'inauguration du monument d'Abbeville).

 

        A Beauval, comme le rapporte Le Messager de la Somme de 1920 : 

 

       "... tous les cafés étaient fermés durant la cérémonie et le soir, devant les façades où trop souvent, hélas ! se fait entendre le rythme déplacé des danses, le passant attardé qui parcourait les rues de ce bourg populeux sentait régner un silence presque religieux, qui rappelait le respect de nos pères un soir de Toussaint, par exemple."

         

     Agenvillers : "Détail à noter. Le soir, le passant attardé qui parcourait les rues d'Agenvillers, sentait régner un silence presque religieux qui rappelait le respect de nos pères un soir de la Toussaint, par exemple.

Pour nos morts, merci !" (Le Ponthieu 21 mai 1921)

 

       Acheux en Vimeu :  " Cette fois encore la cérémonie fut ce qu'elle devait être : simple et belle. Nous en soulignons la grande tenue et le caractère emprunt de la plus respectueuse émotion. Un seul petit fait en attestera la plus haute marque : par arrêté ou accord convenable, les cafés, auberges ou estaminets furent tenus fermés pendant toute la durée de la manifestation." (Le Petit Doullennais, 21 août 1920) 

 

      Le Titre : " Par déférence pour les morts du Titre, il n'y a eu aucune réjouissance publique ; aussi la cérémonie fut-elle marquée au coin de la meilleure tenue et de la plus respectueuse dignité." (L'Echo du Vimeu, 1er octobre 1921)

 

 

 

Beauval
Beauval
Agenvillers
Agenvillers
Acheux-en-Vimeu
Acheux-en-Vimeu

 

          Il n'en fut  pas ainsi dans toutes les communes. A Caix :

 

"Des jeux divers pour les enfants, des parties de balle à la main, des danses aux sons d'un brillant orchestre continuèrent et animèrent la fête qui se prolongea jusqu'à une heure fort avancée dans la nuit". (Le Progrès de la Somme, 1921)

      

Caix
Caix

 

          La journée se termine habituellement par un vin d'honneur. L'excédent des recettes, quand il y en a, est affecté à l'entretien du monument. 

 

 

 

 

 

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